Le Silence des Agneaux

Nous arrivons du débit de boisson le plus proche, fortement surexcités par la caféine conjuguée à la fébrilité de ce premier instant. Dans quelques mètres, au bout de ce couloir qui donne sur la cour, ils seront là. Combien d'entr'eux, cette année, se risqueront à se jeter dans la gueule du loup? A supporter les brimades incessantes, les hausses de décibels dans leurs fragiles oreilles, les heures de gesticulation au sol, les longues tirades à décrypter? Combien? 40? 50? On verra bien, ouvrons la porte.

Mazette: il doit y avoir erreur! Serions-nous, abêtis par la fatigue toute légitime de l'enseignant surmené, entrés dans l'antichambre d'un concert d'Abba? La foule se presse, menaçante par son grand nombre: et vas-y que je t'embrasse, et alors, ces vacances? Comment vas? Et vas-y que ça rigole, que ça s'agite... Les petits nouveaux sont tout émus, tandis que les vieux de la vieille égrènent les blagues rituelles, celles qui tournaient en coulisse quand on réglait son compte au "Bourgeois".

Le calme se fait. Tandis que les loups causent aux agneaux, nous tentons un décompte: 90. Toi aussi, tu trouve ça? Ah bon? Mais, c'est qu'ils sont plus nombreux que l'an dernier...

Après cette première réunion, nous n'avons pas faibli. Robert Hossein en pleurera sûrement de jalousie dans ses guenilles, mais nous ne saurions être misérables en matière de foule, cette année (ah, ah, sacrée Moumoune, quel humour...)(note aux parents: parmi les armes de l'équipe dite adulte, on notera que ce type de cartouches fait l'objet d'une nette prédilection... oui, madame, vous avez raison, pauvres petits...)

Après un casting mouvementé - comme tout casting; demandez donc à Pâris s'il s'est amusé quand il a choisi la Belle Hélène, tiens! ça ne devait pas être du mille-feuilles, ce coup-là... enfin, moi, ce que j'en dit... - Bref, revenons à nos agneaux; après un casting mouvementé, donc, et des vacances bien gagnées (je parle de ladite équipe, de moins en moins adulte), nous décidons de répartir nos agneaux en diverses bergeries: nous aurons donc les agneaux bêlants, les agneaux bruissants, les agneaux sautillants, les agneaux bramant du texte et les agneaux en masse - les plus durs à suivre, parce qu'ils créent l'ambiance. Et l'ambiance, dans une pièce, c'est bien simple: c'est comme le pinard dans le Bœuf Bourguignon (et je sais de quoi je parle, vu que je viens d'Autun).

Après d'autres vacances (rassurez-vous: les fêtes nous ont remplumés), retour au bercail. Et bonheur chez les vieux loups: nos agneaux connaissent le texte, leurs mouvements, leurs chansons... triez vous-même. Notre petit troupeau joyeux est devenu une troupe, avec un véritable esprit de groupe, au service d'une pièce qu'elle s'est appropriée. Nous voici donc, en définitive, avec un groupe où 90 acteurs, danseurs, chanteurs et musiciens jouent ensemble, malgré nos efforts. Magie du théâtre, qui sans cesse réaccomplit ce miracle, où 90 voix n'en font plus qu'une (ben ça, c'est bien vrai, ma bonne dame... 3615 café du commerce, code Moumoune).

Aussi, si vous entendez des gloussements, ce soir, ne vous affolez pas: ce ne sont que les vieux loups, en coulisse, qui manifestent leur joie en y laissant des plumes (ah bon, ma métaphore est trop audacieuse? oh, ben, c'est pas pire qu'aux répèts, pourtant...)(Ben quoi, j'm'adapte...)

Moumoune