Il ne fait pas chaud dehors, il fait moins cinq. A l'intérieur, il fait moins que rien. Il est debout devant le reflet dans la vitre, derrière laquelle tout le monde dort. Pourquoi pas lui? Le vent du soir se lève enfin, il le remarque à cause de ces quelques feuilles mortes qui virevoltent en cette saison, entraînées d'un soupir rauque et glacé. Il reste là, les yeux grand ouverts de ne rien voir? En vérité, il était fatigué, ça faisait des mois, des années que la ville était en guerre et lui, le photographe, était balancé entre le froid de la terreur et la chaleur de l'espérance. Depuis quelques temps, il n'avait plus qu'un mot à la commissure des lèvres, mettre fin à tout cela, tant il était usé par ces voix de femmes hurlant en silence dans des draps moites et couvertes de sang. Y avait-il encore un sens, pour lui, d'achever cette tache, lui qui avait été témoin de l'innombrable, lui qui était le seul à enquêter sur ces mères violées dans des appartements saccagés, lui qui avait fait des kilomètres dans les campagnes environnantes, portant des enfants morts dans ses bras? Ce défilé d'horreurs incessant lui avait fait peu à peu oublier son île qu'il avait bâti au creux de la montagne, et où il aurait pu rentrer chaque soir presque léger, ne percevant plus ces hurlements que comme des chants lointains, d'amour ou d'espoir, peu importe, et imaginant l'Histoire sous un angle meilleur; un peu comme tous qui ne sentons pas le souffle tragique d'un millénaire finissant.
Le jour se lève enfin...
Winnie